Ce sont ceux qui en parlent "le mieux" car ils sont plus libres. Affranchis. Ils l’ont servi, ont été servis, et n’attendent plus grand-chose d’une hypothétique réélection de leur ancien patron. Ce sont ces "ex" là, une bonne vingtaine, que "le Nouvel Observateur" est allé confesser.
Des comportements erratiques
Des ministres les plus médiatiques, comme Rachida Dati, aux collaborateurs les plus anonymes, des poids lourds politiques comme Michèle Alliot-Marie aux conseillers les plus discrets comme Raymond Soubie, des fidèles de longue date, comme Christian Estrosi ou Roger Karoutchi, aux "pièces rapportées" de la défunte "ouverture" tel Martin Hirsch, des indéfectibles soutiens comme Bernard Laporte aux "ex" déçus qui affrontent aujourd’hui celui qui les avait fait ministres, tels Hervé Morin ou Christine Boutin.
Parce qu’ils en ont été les complices actifs, il n’est pas de meilleurs témoins pour raconter cette étrange comédie du pouvoir, cette folle cavalcade désordonnée que furent ces cinq années de sarkozysme. Parce qu’ils ont subi ses emportements ou reçu ses encouragements, parce qu’ils l’ont fréquenté au plus près, dans l’intimité du pouvoir, ils sont les mieux placés pour peindre les comportements erratiques de ce drôle de Président, éternel candidat d’un camp, jamais vraiment devenu chef de l’Etat de tous (…)
Le président qui humilie les siens
Nicolas Sarkozy ne cache pas grand-chose des sentiments qu’il porte à ceux qui le secondent. Dominique Bussereau, ancien secrétaire d’Etat aux Transports jusqu’en novembre 2010, s'amuse :
Cela se voit immédiatement, physiquement, quand il est énervé"
C’est que Nicolas Sarkozy a ses souffre-douleur, ses têtes de Turc, qu’il ne se prive pas de malmener en public. Ce sont souvent des femmes : Valérie Pécresse a eu droit à un retentissant "conne" devant plusieurs de ses collègues pour avoir voulu accentuer l’aspect sélection de la réforme de l’Université. Roselyne Bachelot n’a pas non plus été ménagée, mais c’est surtout Christine Albanel qui a été fréquemment maltraitée.
Même Christine Lagarde, avant de s’envoler pour le FMI à Washington, a eu droit à son lot de vachardises : "Parler bien l'anglais, c’est tout ce qu’elle sait faire !" L’ex-ministre de l’Economie et des Finances s’est fait sévèrement réprimander en plein conseil des ministres, à propos de la loi Tepa, parce que Bercy n’avait pas publié à temps certains décrets : "Tu n’as pas fait ce que j’ai demandé ! C’est une faute !" Un silence glacial s’est installé dans le salon Murat.
"Un vrai gosse"
Le chef de l’Etat ne cachait pas non plus son agacement devant les interminables prises de parole d’un Bernard Kouchner versant volontiers dans la flagornerie. Pour manifester son irritation lorsque l’ex-"French doctor" dissertait, Nicolas Sarkozy regardait par la fenêtre, griffonnait, sortait son téléphone portable, envoyait des textos. "Un vrai gosse", glisse un ex-conseiller. Mais plus que ses ministres, le président éreinte souvent ses collaborateurs, qui subissent sans broncher une avalanche de noms d’oiseaux :
Abruti", "connard", "incapable"
Lorsqu’il était secrétaire général de l’Elysée, "j’ai vu Guéant traité plus bas que terre", ricane une ministre. Car Nicolas Sarkozy ne ménage pas ceux qu’il considère comme ses fidèles. Au contraire, à ce titre, ils lui devraient plus encore. Le malheureux Brice Hortefeux a été traité "comme une merde" aux dires d’un de ses anciens collègues avant d’être viré du gouvernement sans explication il y a un an.
Lui-même jamais détendu en conseil des ministres, le chef de l’Etat met la pression sur ses subordonnés : "Soyez heureux !", "Tout le monde veut votre place !", « Il n’y a rien de mieux qu’être au gouvernement, les parlementaires ne pensent qu’à ça !" Un peu comme un manager de fast-food épuise ses employés en alternant brimades mesquines et récompenses fragiles pour "l’employé du mois"… Surtout, Nicolas Sarkozy ajoute un mot d’ordre impératif : "Foncez, ne vous planquez pas !"
Fillon ? Un "trouillard", un "faible"
Tous les ministres le savent, cette admonestation-là vise d’abord François Fillon. S’il est quelque chose que Nicolas Sarkozy abhorre chez son Premier ministre, qu’il qualifia un jour de "collaborateur", c’est sa "lâcheté". Au début du quinquennat, Fillon, mécontent du traitement que lui infligeait le chef de l’Etat, eut le tort de s’en ouvrir à un ministre : "Si tu savais ce que j’endure… ". La plainte est revenue aux oreilles présidentielles. Dès lors, la religion de Sarkozy était faite : ce Fillon n’est qu’un "trouillard", un "faible". " Le président demande fréquemment le président aux ministres amis qui lui sont le plus proches :
Pourquoi il est pas heureux Fillon ? Pourquoi il se planque tout le temps ?"
Lors des réunions de ministres, le chef du gouvernement a gagné un surnom : le "grand taiseux". Fillon n’intervient que pour distiller quelques traits d’humour, façon pince-sans-rire, censés détendre l’atmosphère. "Je suis vraiment contre le port du voile", lâche un jour en réunion, Michèle Alliot-Marie. "C’est bientôt ton anniversaire, je saurai ce que je ne dois pas t’offrir…", ricane Fillon. MAM lève un sourcil, la vanne tombe à plat.
En revanche, sur le fond, lors de ces réunions de ministres, Fillon ne donne pas même son avis. Un attentisme qui a le don d’exaspérer Sarkozy qui lui balance : "Bon, François, on est d’accord là-dessus ?", "François, tu n’as pas d’objection ? Si tu n’es pas d’accord, tu le dis !" (...)
> Lire l'intégralité du dossier "Ils ont travaillé avec Sarkozy… Ils disent tout !" dans "le Nouvel Observateur" du 12 janvier 2012