PRÉSIDENTIELLES : L'"APPEL DU 23 FÉVRIER" LANCÉ PAR DES UNIVERSITAIRES
Issus pour la plupart du mouvement de protestation des universitaires en 2009, un collectif vient de publier un texte baptisé de son jour de parution.
Cet Appel du 23 février reprend les thèmes de ce mouvement, critique vigoureusement la politique de Nicolas Sarkozy et montre qu'une bonne part des universitaires et des scientifiques ne se satisferont pas d'un simple replâtrage ni d'un simple rattrapage financier.
Sans le dire, il vient en réalité s'inscrire dans le débat à gauche sur la politique universitaire à conduire dans le cadre de l'alternance politique qui se profile. Faut-il corriger à la marge ou tout reprendre à zéro ? Faut-il octroyer quelques sous ou investir massivement dans l'enseignement supérieur ? Faut-il conserver les cadres législatifs issus des réformes conduites par la droite au pouvoir depuis dix ans ou en faire voter d'autres?... Autant de questions qui soulèvent des désaccords entre le PS, le Front de gauche, les écologistes mais qui traversent également la communauté universitaire et scientifique.
Ainsi, quatre responsables d'EELV, dont la sénatrice Marie-Christine Blandin et l'ex-vice président du CRIF Marc Lipinski viennent de signer une tribune dans Le Monde qui appelle à une «refondation du système français de recherche».
Ainsi, la présidente de l'Université Montpellier-3, Anne Fraïsse, a t-elle vigoureusement interpellé François Hollande.
Cette interpellation n'est pas pour rien dans les réactions récentes du Parti Socialiste censées montrer qu'il souhaite une véritable réorientation politique et pas de simples ajustements. On peut le lire dans la réaction de l'équipe de François Hollande sur la deuxième vague des IDEX, ou la très vive réaction du président du CRIF à la venue de François Fillon à Saclay à l'occasion de la labellisation IDEX du projet d'Université Paris-Saclay.
Le 5 mars, à l'Institut Cochin, une brochette d'universitaires et de scientifiques s'adressera à la presse sur la base du texte (publié ici) de Yehezkel Ben-Ari, neurobiologiste fondateur de l'INMED, grand prix de l'INSERM et Joël Bockaert, neurobiologiste, Professeur à l'université Montpellier , membre de l'académie des sciences. Se joindront à eux Bruno Chaudret, chimiste, président du Conseil Scientifique du CNRS et membre de l’Académie des Sciences, Sébastien Amorigéna, Immunologiste, Institut Curie, Membre de l’académie des Sciences, Henri Audier, Chimiste, ancien professeur à l’Ecole Polytechnique, Laurence Giavarini, Université de Bourgogne, porte parole de SLU, François Graner – Institut Curie, Chargé de recherche, CNRS, Lionel COLLET,PH, ancien président de la CPU et de l'Université Claude Bernard Lyon-1.
Au delà des questions d'organisations, de structures, la grande question des moyens financiers se pose. Avant l'arrivée de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, la simple remise en état des bâtiments universitaires dégradés était estimé à 5 milliards d'euros. Durant le quinquennat, pratiquement rien n'a été fait... au prétexte qu'on allait faire des miracles avec l'argent des actions d'EDF, les IDEX et autres opérations campus. En réalité, les milliards annoncés sont restés virtuels, sous forme, au mieux, de dotations en capitaldont le rendement annuel disponible pour les dépenses se comptent en dizaines de millions d'euros. Le ministre de l'enseignement supérieur est tout juste en état d'annoncer les premières opérations financées par la vente des actions d'EDF au début du quinquennat.La montagne a accouché d'une souris, tandis que les bâtiments continuaient de se dégrader. Or, sans un réarmement fiscal d'envergure, il est évident que la gauche ne pourra rien faire de sérieux.
Voici le début de l'Appel du 23 février:
L’actuel gouvernement présente la réforme de l’Université comme l’une des grandes réussites du quinquennat. Il prétend avoir donné aux universités leur autonomie, avoir fait, en faveur de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, « des efforts financiers sans précédent », avoir engagé une politique de l’excellence qui commencerait à porter ses fruits au niveau international et avoir réformé la formation des maîtres pour parvenir à une « meilleure formation des enseignants ».
Tout cela est faux !
Vous avez dit « autonomie » ?
Les universités subissent une tutelle du Ministère toujours plus tatillonne et dépendent de plus en plus de financements privés et d’impératifs de rentabilité immédiate. L’attribution des crédits récurrents de l’État est toujours aussi parcimonieuse et opaque. Et les « Responsabilités et Compétences Élargies » imposées aux universités ne contribuent en rien à leur autonomie puisque l’État leur délègue de nouvelles charges financières sans les compenser.
Alors que le gouvernement affiche l’Enseignement comme secteur prioritaire, aucun poste d’enseignant n’a été créé dans le supérieur depuis 2008. Le budget des universités, hors inflation, est en baisse d’environ 1 %. La liste des universités en déficit structurel ne cesse de s’allonger, imposant à l’État une mise sous tutelle contraire à l’autonomie qu’il prétend donner. Partout le développement des emplois précaires sert de variable d’ajustement à des budgets très contraints.
L’indépendance scientifique et les libertés académiques des universités, des enseignants-chercheurs et des chercheurs ne sont plus respectées.
Vous avez dit « excellence » ?
Le culte de l’excellence – mot magique jamais défini – ne peut faire oublier comment la recherche est malmenée dans notre pays : diminution des financements récurrents des universités et des organismes de recherche (jusqu’à – 90 % dans certains laboratoires), suppression de 10 % des emplois administratifs du CNRS, sans lesquels les chercheurs ne peuvent travailler.
L’application de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) ravale des établissements de recherche comme le CNRS ou l’INSERM, que le monde entier nous envie, au rang de simples « agences de moyens ».
Pour faire remonter les universités dans des classements internationaux aux critères très discutables, le gouvernement a poussé aux regroupements en tous genres. Cette course au gigantisme a fait naître un système à plusieurs vitesses. Les disparités entre universités se creusent et menacent les équilibres inter et intra-régionaux, obligeant les étudiants à une mobilité qui pénalise les moins favorisés.
Une concurrence généralisée s’est instaurée, entretenue par deux agences de pilotage et d’évaluation très coûteuses, au fonctionnement opaque : l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et l’Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES). Les universitaires et les chercheurs gaspillent désormais une part considérable de leur temps à rédiger rapports d’activité, dossiers de demande de financement et appels à projets, au détriment de leurs missions fondamentales de recherche et d’enseignement.
Vous avez dit « une meilleure formation des enseignants » ?
Des rapports de l’Assemblée nationale et de la Cour des comptes l’ont désormais établi : la réforme de la formation des enseignants des premier et second degrés est un échec flagrant.
Elle aura finalement provoqué la chute du nombre de candidats aux concours, le démantèlement ou l’affaiblissement des IUFM et la désorganisation des UFR, l’augmentation du nombre d’enseignants précaires, et conduit de jeunes professeurs à exercer à temps plein sans formation professionnelle suffisante.
Nos concitoyens doivent savoir que le monde de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est au bord de l’asphyxie.