Fiscalité : Hollande a du rupin sur la planche
Décidément, l'annonce d'une taxation à 75% des revenus excédant 1million d'€ fait couler beaucoup d'encre et de salive! Outre les articles que j'ai publiés, lisez ce dernier qui met bien les choses à leur place. Et arrêtons de pleurer sur le triste sort de ces malheureux nantis.
Les 0,01% de Français concernés par la proposition de créer une nouvelle tranche à 75% sont rompus à l’art de contourner les règles de l’imposition.
Non, la crise ne les a pas affaiblis, bien au contraire. Beaucoup, sans doute, ont prospéré sur ce terrain mauvais et mouvant, propice aux coups de poker et aux bonnes affaires. Les très riches se portent bien, donc, et ils se sont fait une telle spécialité de déjouer les réglementations fiscales, de s’engouffrer dans les niches les plus profitables et de folâtrer d’un paradis à l’autre qu’il n’est pas sûr que la menace d’un taux d’imposition marginal à 75%, brandi à leur encontre lundi soir par François Hollande, leur fasse si peur que cela. Ils savent y faire pour sauvegarder leur position.
Car être très riche, et surtout le rester, c’est un métier. Un travail de chaque instant fait, entre autres, de renvois d’ascenseur, de constitution d’un réseau d’obligés, de mondanités organisées. Comment définit-on ce groupe ? Selon le directeur de la rédaction d’Alternatives économiques, Thierry Pech, auteur de l’ouvrage le Temps des riches(Seuil, 2011), qui fait désormais référence sur le sujet, s’il faut percevoir un revenu mensuel supérieur à 5 400 euros pour entrer dans le club des 5% de Français les mieux rémunérés, il suffit de franchir la barre des 10 000 euros mensuels pour pénétrer celui du 1%.
En revanche, «le ticket d’entrée dans l’élite de l’élite, les 0,01%, s’élève à 82 000 euros par mois de revenus imposables, […] un groupe de 5 800 personnes environ qui n’aperçoit même plus l’équateur statistique du revenu médian» (1 580 euros par mois). C’est ce groupe-là qui est ciblé par François Hollande.
Qui compose ce groupe à part ?
Il y a encore trente ans, il était essentiellement constitué de grands capitaines d’industrie, ces Pinault, Arnault, Lagardère et autres Dassault qui squattent les pages des magazines économiques et people. Aujourd’hui, ceux-ci - des héritiers dans leur grande majorité, si possible en couple avec d’ex-comédiennes ou mannequins - en constituent toujours le noyau dur, mais ils ont été rattrapés par une autre caste, celle de la finance et des affaires. Si l’on en croit le sociologue Olivier Godechot, les très riches comptent désormais nombre de cadres dirigeants de grandes banques, de traders et autres avocats d’affaires. Mais aussi des sportifs, notamment footballeurs (80 000 euros par mois est un bon salaire dans un club moyen, ce qui en dit long sur ce que touche un grand joueur dans un club prestigieux).
Petit détail, rappelé par un récent rapport rédigé pour le laboratoire d’idées Terra Nova par Martin Hirsch (ancien haut-commissaire aux solidarités actives) et Gaby Bonnand (ex-président de l’Unédic) : les très riches sont à 90% des hommes (Liliane Bettencourt est à maints égards une survivante), et leur âge moyen tourne autour de 49 ans. Ces braves gens vivent pour les deux tiers en Ile-de-France et plus précisément dans l’ouest parisien (Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine).
à quoi reconnaît-on ces très riches ?
«Ce sont des gens qui se regardent beaucoup entre eux, qui n’ont plus comme critère de comparaison qu’eux-mêmes», dit Martin Hirsch.«L’entre-soi, c’est une bataille de tous les instants et sur tous les fronts», affirme de son côté la sociologue Monique Pinçon-Charlot, coauteur avec Michel Pinçon du Président des riches (la Découverte poche, 2011). De fait, on les retrouve régulièrement groupés autour d’un leader ou d’une figure tutélaire. Ainsi, en 2003, aux obsèques du tycoon de l’armement et des médias Jean-Luc Lagardère, toute l’élite politique, économique, médiatique et sportive était massée dans l’église Saint-François-Xavier à Paris. Les mêmes ou presque assistaient en 2005 au mariage princier, en Gironde, de Delphine Arnault, la fille de Bernard Arnault, patron du groupe de luxe LVMH, avec l’héritier d’une dynastie industrielle italienne. Enfin, une bonne partie d’entre eux se sont retrouvés deux ans plus tard à ce qui restera comme le climax du sarkozysme triomphant, la soirée du Fouquet’s, le 6 mai 2007. Chez ces gens-là, monsieur, on ne se mélange pas. Et si certains nouveaux fortunés, notamment dans les télécoms, ont si bien su s’insérer dans ce groupe très fermé, «accéder au ghetto du gotha» selon le mot de Monique Pinçon-Charlot, c’est parce qu’ils habitaient les mêmes quartiers parisiens huppés, et fréquentaient les mêmes lieux de pouvoirs.
«Les plus fortunés ont une grande capacité à gérer différentes formes de richesses simultanément, explique la sociologue. Financière, mais aussi sociale (cercles, conseils d’administration… toute cette sociabilité mondaine qui est un vrai travail), culturelle (marché de l’art, car il faut légitimer l’argent par le bon goût et la culture) et enfin symbolique (le corps doit être parfait, toujours jeune, bronzé, svelte, bien habillé)…» Beaucoup n’ont plus aucune conscience de la réalité, à l’image du patron d’EDF, Henri Proglio, qui n’a pas compris pourquoi une double casquette et un double salaire (EDF et Veolia) pouvaient poser un problème. Pour Martin Hirsh, les plus riches donnent à l’argent une vertu de pouvoir, mais aussi de reconnaissance : «A l’étranger, ils cherchent plutôt la reconnaissance de l’argent qu’ils donnent. En France, ils cherchent surtout la reconnaissance de l’argent accumulé. Ils sont pour la plupart plutôt pingres : alors que le taux de générosité moyen est de 0,8%, le leur est de 0,6%.»
Ce qui est sûr, c’est que leur capacité de reproduction et de mobilisation est extrêmement forte. Pour les qualifier, Monique Pinçon-Charlot aime à citer cette phrase : «Il faut toujours courir pour rester sur place.»
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